Expérience solidaire à Rangiroa
Expérience solidaire à Rangiroa
Nous avons quitté Fatu Hiva avec Perrine et Jérôme et navigué vers Rangiroa, atoll de l’archipel des Tuamutus sous bonne brise et mer formée. Vision toujours assez insolite ou sentiment d’hallucination, de mirage, à deviner sur l’horizon quelques silhouettes de cocotiers qui se précisent petit à petit, pour devenir une fine bande de terre corallienne qui se donne à notre imaginaire de découvreurs.
Ensuite, se présenter devant « la passe », c’est-à-dire le passage pour entrer dans le deuxième plus grand lagon du monde… au bon moment de la marée, car le courant y est si fort que notre petit moteur ne parviendrait pas tout seul à nous ouvrir ce césame. La passe de Tiputa, fameuse et poissonneuse de requins et baleines, de dauphins en tous genres, véritable festival de faune aquatique et aérienne, c’est d’abord une émotion et ensuite une fête ! Emotion familiale pour notre père Jean Pierre Beauvois qui l’avait hydrographiée dans les années 1966 (et passée par les contre-courants avec sa Zélée, sus l’œil complice de ses huit marins tahitiens), mais aussi qui s’est éteint l’an dernier alors même que je lui envoyais en direct par WhatsApp le passage depuis la passerelle du Paul Gauguin, où j’exerçais alors comme médecin de bord. Fête aussi car ce lagon est mythique, outre pour ses deux passes célèbres parmi les plongeurs amateurs de frissons au milieu des requins, mais aussi pour son « lagon bleu » qui arbore le plus turquoise des lagons turquoises.
Perrine repartant le surlendemain, nous nous y sommes rendus à 15 nautiques plus au sud selon un chenal bien particulier à suivre. Nous avons mouillé au plus près de la barrière de corail, 40 m de chaine sous 10 m de fond, pour accéder en canoé et nous émerveiller de cette nature sublime, quelques raies et requins pointe noire au raz d’une eau si peu profonde que sa température y était anormalement chaude.
La nuit, le vent a tourné, TU’ATI aussi. Après une matinée de ballade seuls au monde avant l’arrivée des touristes, nous avons levé l’ancre vers 13h. Mais non en fait, la chaine se bloquait au guindeau, Tu’Ati se cabrait. Plusieurs tentatives de manœuvres au moteur pour se dégager, n’y ont rien fait… Jérôme s’est mis à l’eau avec un masque et constater que l’ancre est bloquée sous une grosse patate de corail, la chaine a fait plusieurs tours, emmêlée de façon complexe autour de plusieurs blocs… Je me met à l’eau avec Jérôme qui a l’idée de passer un bout et de tirer mais illusoire, l’ancre est bel et bien coincée à 10m de fond. Mes compétences en apnée sont mauvaises, je décide de sortir le matériel de plongée du bord, apporté par un ami pompier. Mais grave erreur, le matériel n’avait pas été contrôlé ni essayé : le gilet est trop grand, la bouteille très lourde, un détendeur ne fonctionne pas, il n’y a que celui de secours. Je tente une descente le long de la chaine malgré tout, déjà trop essoufflée par les efforts précédents et la houle qui nous malmène. A trois mètres je n’arrive plus à respirer et commence à paniquer. Mon frère me saisit par le gilet et me remonte en surface. Il a cru me perdre, moi je ne sais qu’une chose : il faut cesser ces tentatives hasardeuses et se poser pour réfléchir.
Une fois à bord, décision de laisser par le fond les 80mètres de chaine avec leur ancre, une bouée de repérage à l’extrémité et aller chercher de l’aide au village pour revenir demain avec du matériel fonctionnel et de l’aide. Il est déjà trop tard et nous mouillons de nuit avec le deuxième mouillage après 15 nautiques pénibles contre le vent qui s’est levé. J’avue, je n’ai pas très bien dormi cette nuit là, Jérôme non plus.
Le lendemain, j’accompagne Perrine à terre et lui dit au revoir. Un mois et demi de souvenirs aux Gabier, Marquises et Tuamutus nous lient à jamais. Je vais à la recherche de plongeurs dans les divers clubs de plongée, mais c’est la haute saison et ils ne sont pas disponibles pour aller si loin en dehors de leur territoire de plongée habituel. Tout au plus une possibilité d’aller rechercher mon mouillage dans deux mois… Je m’adresse alors à James, patron d’embarcation touristiques pour le lagon bleu. Il ne me promet pas de pouvoir m’aider car il a trente clients à nourrir là bas, mais me dit qu’il va faire son possible. Je rentre à bord et décide d’y retourner, sous l’œil dubitatif de mon frère.
Tu’Ati en route vers le lagon vu de l’avion (photo par Perrine).
Lorsque nous arrivons sur place, James est déjà en place en bateau moteur puissant avec trois jeunes apnéistes athlétiques : ils ont déjà dégagé l’ancre et l’ont disposée sur le haut du bloc de corail à 9m de fond ! Reste à saisir la bouée au bout de la chaine pour l’engager dans le guideau et relever les 80m de chaine. La houle est forte et le voilier peu manœuvrable dans ces conditions à 20 mètres du récif. Jérôme arrive à la saisir à cinq reprises mais le poids de la chaine et les mouvements du bateau la lui font lâcher. Franchement, nos amis auraient pu s’arrêter là. Et bien non : un jeune polynésien bien musclé monte à bord et me guide la voix « à droite, à gauche, tout droit… » sous les indications d’un autre jeune qui est à l’eau avec son masque. Ils arrivent enfin à saisir la bouée et à la fixer au taquet à deux. Le bout de liaison est coupé au moment ou la chaine est engagée dans le guindeau en marche… c’est gagné ! On remonte toute la chaine et son ancre en suivant les instructions du nageur qui nous aide à démêler la chaine… Grand soulagement et grande joie d’avoir vécu une si belle solidarité dans la persévérance. C’est cela la classe, la générosité la solidarité des iliens. Le soir nous nous retrouvons pour remercier nos champions d’apnée aux grands poumons et au grand cœur. De cette mésaventure, je retiens plusieurs points. Mouiller trop près de la barrière, non; au moins adjoindre au mouillage tous les dix mètres de chaine une bouée pour mettre en suspension la chaine et éviter de s’emmêler mais surtout de ne pas endommager les coraux… Vérifier son matériel de plongée et s’entrainer à l’apnée. Et …Toujours poser l’idée de manœuvre avant de commencer !
On s’en est bien sortis grâce à l’aide de nos amis de Rangiroa. On y reviendra pour y rencontrer leurs soignants et ce sera la joie d’y retrouver aussi nos nouveaux amis !