Les messages principaux des soignants rencontrés dans le Pacifique confirment les constats de la Transatlantique
Les messages principaux des soignants rencontrés dans le Pacifique confirment les constats de la Transatlantique
Au fil des multiples rencontres qu’ont faites l’équipage de Tu’Ati, le voilier ambassadeur de TSUI, les messages perçus l’an dernier lors de la Transatlantique se confirment, avec quelques nuances en Polynésie.
Gestion des effectifs des professionnels de santé
Le problème majeur est celui de la gestion des effectifs des professionnels de santé : il y a de nombreux candidats attirés par l’attrait des iles, pas toujours préparés aux conditions d’exercice qu’ils vont rencontrer et qui, une fois sur place, surpris des contraintes, ne restent pas forcément le temps prévu, mettant alors en difficulté les services chargés de les remplacer, et la population dont ils avaient la charge.
Le délai d’affectation n’est le plus souvent pas prévisible et peut leur sembler très long compte tenu du coût de la vie en Polynésie; à l’inverse, le caractère impromptu du départ en poste est souvent perçu comme déstabilisant ; les conditions disparates d’un poste à l’autre pour ce qui concerne par exemple le logement de fonction présent ou non selon les iles, peut diviser leur salaire par deux et remettre en question leur capacité à rester, ou bien générer un sentiment d’injustice et de frustration.
Par ailleurs, l’exercice est très prenant comme pour la majorité des infirmiers qui assument seuls un poste calibré pour deux générant une astreinte 7j/7 , 24h/24 et des congés cumulés à la fin du contrat qui laissent des populations sans ressource soignantes.
A contrario, s’ils se plaisent, et s’inscrivent dans la durée, les affectations ne peuvent généralement pas être renouvelées, ni se prolonger au-delà de trois ans dans le système public, même avec le concours interne en poche pour certains. Ceux qui restent malgré tout et s’installent en libéral n’ont pas forcément un travail aussi attrayant ni suffisamment de ressources pour en vivre.
Les personnels viennent pour la plupart de l’hexagone car il n’y a pas en Polynésie (contrairement aux Antilles) d’école d’infirmière (elle serait actuellement en travaux), ni d’aide-soignante, ni à fortiori de faculté de médecine. Ne maitrisant pas les langues propres à chaque archipel, pour la plupart, l’intégration auprès des populations des iles n’est pas toujours aisée; les médecins polynésiens sont rares et restent le plus souvent dans l’Hexagone pour ne revenir qu’à l’âge de la retraite.
Ne serait-il pas intéressant de réfléchir à ces problématiques de ressources humaines complexes pour le professionnel de santé comme pour son recruteur ? Pourquoi ne pas s’inspirer de quelques idées d’ailleurs comme :
- Dans les Terres Australes (TAAF), des tests d’évaluation psychologique au travail en poste isolé ?
- En Guyane, la constitution d’équipes d’enseignants groupés par affinités pour les territoires isolés répliquée aux personnels de santé ?
- Mais aussi de nouvelles initiatives faisant appel aux nouvelles technologies, comme la Mise à disposition des professionnels d’outils d’autoévaluation en santé mentale via un logiciel d’intelligence artificielle, ou la conception d’une formation à l’exercice en situation d’isolement avec création d’un diplôme interuniversitaire de « médecine insulaire » ?
Un système public exclusif
Le système public est exclusif dans les archipels autres que celui des iles Sous le Vent (où les horaires seraient mieux maîtrisés selon les libéraux rencontrés) ; de nombreuses vacations médicales régulières de médecine générale ou de spécialités sont organisées selon les besoins des populations dans les archipels (exemple médecine nucléaire tous les deux mois à Mangareva) ; ces professionnels viennent par avion le plus souvent et restent une demi à une journée, fréquence variable (quinzaine, mensuelle, etc.); il existe une équipe de soignants itinérants qui peuvent être affectés sur plusieurs mois dans les postes très isolés, ou en renfort ponctuels de collègues.
Les moyens d’évacuation
Les moyens d’évacuation EVASAN et SAMU centralisés à Papeete sont opérationnels et très efficaces à partir des hôpitaux locaux des différents archipels. Ce qui est complexe et donc parfois plus aléatoires dans les iles isolées, c’est la manière dont la victime ou le malade peut rejoindre ces points d’évacuation : par bateau local, navire, avions de liaison inter-iles, dépendant des conditions météorologiques et des disponibilités humaines.
Ce qui nous a le plus interpellé dans ces iles concerne les accouchements : ils ont tous lieu à Papeete sur Tahiti, avec une exception à Nuku Hiva, qui possède une maternité avec un chirurgien et deux anesthésistes, bien que le paradoxe veuille que pour venir des autres iles marquisiennes, le billet d’avion coûte plus cher que celui qui mène à Papeete.
Les futures parturientes des différents archipels doivent quitter mari et enfants un mois avant le terme et ne revenir que deux mois après. On imagine facilement les problèmes financiers que cela peut poser. Si le transfert peut être pris en charge, la plupart du temps sous forme d’évacuation sanitaire, c’est le système public qui le finance à grand frais, mais les frais de vie à Papeete sont à la charge des familles, donc pèsent sur le budget des familles. Cette organisation, si elle vise le « zéro décès infantile » est difficilement vécue par les femmes et leurs familles, souvent décriée aussi par les soignants qui en voient les conséquences négatives sur le plan conjugal et familial.
Médicaments
Les médicaments des centres de santé sont livrés tous les 3 mois, il n’y a pas de commande possible entre temps et donc parfois des ruptures de stock en cas d’épidémie; certaines dotations mériteraient d’être revues selon certains soignants. Par ailleurs la plupart indiquent des délais pour les examens biologiques trop longs et donc parfois inadaptés. Malgré toutes ces remarques et points d’amélioration potentiels, nous avons rencontré des soignants plutôt satisfaits de leurs conditions matérielles de travail.
Valises de télémédecine
Des valises de télémédecine sont développées pour les iles les plus isolées ; les agents techniques de santé sont formés à leur utilisation et peuvent téléconsulter avec un médecin à distance à certaines heures précises; nous pourrons vous décrire davantage cet outil lors du passage de Tu’Ati aux iles Australes où elles sont développées. Pour l’heure, c’est à Rangiroa (Tuamutus) que nous avons découvert l’utilisation de la télémédecine en dentaire. Nous approfondirons cette expérience en mai prochain.
Principales pathologies rencontrées
Diabète, obésité, hypertension sont les leitmotiv insulaires des conséquences d’une alimentation importée trop sucrée et grasse qui fait des ravages dès le plus jeune âge.
Problèmes d’infections cutanées liées à des conditions de vie ou de travail particulières (exemple : travail dans l’eau de mer pour les fermes perlières) mais aussi essentiellement liées à l’absence de production d’eau potable : absence de nappe phréatique sur certaines iles (aucune source d’eau aux Tuamutus, nappe d’eau coralienne saumâre aux Gambier, aucune source à Ua Pou, etc), qui rendent les populations dépendantes des conditions climatiques.
Pour exemple, l’île de Ua Pou (Marquises) n’a pas eu de pluies trois années consécutives… il n’y a pas de dessalinisateur d’eau de mer. Dans la plupart des iles, l’eau est importée en bouteilles, la population est tentée de boire des sodas en quantité excessive. Les bières sont rationnées et il est interdit de les vendre fraiches.
Problématiques sociales face à des conditions de vie parfois précaires selon les iles (désœuvrement des jeunes par manque de travail, inceste et violences conjugales), santé mentale dégradée, addictions aux drogues douces et de plus en plus dures (récente introduction de ICE), alcool et écrans.
Pathologies spécifiques : RAA, zoonoses, tuberculose, intoxications aux poissons, etc.
Activités de prévention en santé
Il y a un gros effort de l’organisation de la santé à voir le nombre et la variété des affiches de prévention en santé exposées dans les centres de santé, que ce soit pour la prévention de la « malbouffe », des addictions, des violences, de l’alimentation, etc. Mais les soignants se plaignent du manque de temps pour mener des actions de prévention et aussi du manque d’intérêt manifesté par la population.
Il serait intéressant de redévelopper la coopération des soignants avec les enseignants pour sensibiliser les enfants… et leurs parents, comme Brigitte, agent technique de santé à Ua Pou le regrette. TUSI ne pourrait-elle pas à l’avenir promouvoir des outils pédagogiques et des programmes « santé et environnement » avec des binômes soignants-enseignants ?
De plus, avec l’apparition des écrans et de la mécanisation, les populations insulaires n’échappent pas aux dérives de celle des continents : pourtant férus d’activités physiques comme en témoignent les fêtes du Tiurai (danses, épreuves de pirogues, lancer de javelot, lutte etc.), il y a une tendance à la diminution de l’activité physique. Le développement du sport dans les iles, sujet déjà pointé par Alain Gerbault au début du XXe siècle, est une des solutions en cours de développement auprès des jeunes.
Quelles perspectives à l’avenir ? La quantité de 4X4 et vélos électriques sur de si petits territoires à une seule route questionne.
Collaboration avec la médecine traditionnelle locale
La Médecine chinoise, introduite par les commerçants ayant fui la Chine communiste dans les archipels, est bien implantée et sollicitée par les populations locales. Nous avons rencontré une médecin chinois à Tahuata. Mais seuls des massages de médecine chinoise sont autorisés et pratiqués à l’Hôpital Taone de Papeete.
Le plus souvent, c’est la médecine traditionnelle polynésienne, le Ra’au, transmise oralement et pratiquée par les femmes dans les familles, qui précède le recours aux soins en centre de santé. Les infirmiers le savent et le prennent en compte, déplorant parfois des retards de prise en charge sur certaines pathologies .Les tradipraticiens, nommés Tahu’a sont des spécialistes considérés comme ayant hérité de dons et connus pour leurs grandes connaissances des plantes médicinales ; ils sont cependant peu nombreux.
Moyens de communication
La communication est une clé de la coordination dans le système de secours et de santé. Les liaisons internet fonctionnent par 4G le plus souvent ; seuls les Gambier ne sont pas encore câblés, ce qui accentue l’isolement. A la question de l’installation d’antennes privées (type Starlink) la réponse est qu’elles sont interdites par le système public imposé.
Nous avons croisé des soignants aux Marquises qui communiquent avec les médecins via WhatsApp pour leurs urgences.
Bilan TUSI
Au total, TUSI a toujours reçu bon accueil : il y a un véritable intérêt à faire partie d’une association non institutionnelle qui crée un lien de solidarité entre les soignants des iles des DOM TOM et du monde entier.
L’intérêt pour les ateliers en ligne de partage d’expérience est particulièrement marqué. Le programme des sujets partagés a été établi sur la base des suggestions des soignants des iles. Ils assistent de plus en plus nombreux aux webinaires mensuels, ce qui participe à une rupture de l’isolement et crée un véritable sentiment d’appartenance à une médecine insulaire qui a ses spécificités.
Retrouvez tous nos portraits de soignants dans la rubrique dédiée.