Margot et sa médecine chinoise

Un grand sourire éclaire le visage de Margot qui laisse tomber sa lessive et nous accueille à bras ouverts avec Joanna. Magali est restée sur le bateau car le mouillage n’est pas très sûr à Motopu, petit village d’une centaine d’habitants de Tahuata.

Nous débarquons sans prévenir, juste pour le plaisir de la rencontre, et Margot nous accueille à bras ouvert, simplement car elle est marquisienne et que l’accueil, la gentillesse et la disponibilité sont des secondes natures.

Puis nous plantons le décor, nous venons l’interroger sur ses pratiques de médecine traditionnelle, (chinoises et polynesiennes. On ne peut cependant pas commencer à discuter sans prendre un café – la nappe est mise, on reçoit des invitées ! – goûter les crêpes maison et un pamplemousse divin comme tous ceux de Polynésie.

Nous expliquons que nous sommes là pour l’écouter témoigner particulièrement sur sa pratique de médecine chinoise, mais Margot commence par nous parler d’elle et de sa pratique d’infirmière pendant toutes ces années jusqu’à la retraite. Elle, parce qu’elle est une 3/4 c’est à dire aux 3/4 chinoises par ses parents. Et de nous expliquer que ses grands parents sont venus à la fin des années 40 pour fuir Mao. Que c’était une main d’œuvre pas chère et travailleuse. Et que malgré leurs diplômes, ils ont commencé à cultiver canne à sucre et riz puis ont changé d’île, évolué, et au final ont cultivé de la vanille, qui permet de mieux gagner sa vie. 

Margot a donc fait des études d’infirmière, un métier qu’elle a exercé avec beaucoup de passion pendant des années, parfois en hôpital, parfois sur des îles isolées, en remplacement. Elle a également fait de la formation, ce qu’elle a beaucoup aimé. Et elle a passé 1 an en France pour faire l’école de cadres infirmiers à Pau et a alors fait son stage… à St Herblain 😉.  Improbable !

Et la médecine chinoise ? Et bien le savoir vient de sa famille, surtout de ses grands parents. Elle ne l’a pas étudié, mais en a bénéficié au départ, et a assimilé peu à peu le mode de fonctionnement. Elle a également appris comment utiliser les plantes locales via sa grand mère et son quart de sang polynésien!  Et entre les remèdes déjà préparés qu’elle sait commander en Chine – et qu’elle a réussi à faire venir pour approvisionner le magasin d’Hiva Oa quand elle y était infirmière – et les remèdes traditionnels locaux, elle peut traiter beaucoup des principaux problèmes rencontrés ici : Trauma et contusions, problèmes dermato, toux, etc.  

Elle soigne essentiellement sa famille avec les remèdes habituels mais au cours de sa carrière elle a parfois dû faire face à des situations où son savoir traditionnel lui a été bien utile : par exemple à Huahine sur une île polynésienne ravitaillée uniquement tous les 6 mois en médicaments à l’époque,  elle a dû utiliser des fleurs jaunes d’hibiscus pour remplacer un médicament manquant. Ou utiliser le noni, un fruit très répandu aux Marquises, une sorte de remède miracle qui soigne bien des choses entre problèmes de piqûres, démangeaisons ou autres, ou soucis de toux. 

Aujourd’hui elle est retraitée mais connue comme le loup blanc à Motopu et il n’est pas rare que les habitants viennent la trouver pour les soigner, soit directement, soit même parfois parce que le médecin les lui adresse, ne sachant plus comme traiter le patient. D’autant plus qu’à Motopu il n’y a qu’un agent de santé et que l’infirmière est à 1h de voiture, on ne la dérange pas pour rien. Les Marquisiens sont des durs au mal qui attendent tellement longtemps avant de consulter que cela ne facilite pas toujours les prises en charge. 

Comme pour la médecine traditionnelle polynésienne, la médecine chinoise n’est pas enseignée ici. Les savoirs-faire sont simplement transmis de manière orale et certains savoirs-faire se perdent ou tout n’est pas compris, ni précis (et notamment le mode de préparation ou le dosage). C’est la réalité de ces médecines traditionnelles : rien de formalisé, d’écrit, des savoirs qui parfois s’éteignent avec les plus anciens…  c’est aussi ce qui les rend précieuses et fragiles. 

Nous vérifions avec Margot que la médecine occidentale et les tradipraticiens ne sont pas vraiment intégrés ici. Margot segmente bien ces 2 aspects et n’a jamais proposé dans le cadre de son métier d’infirmière le recours à la médecine traditionnelle. Les gens viennent la voir à domicile pour lui demander ce type d’aide. Quant aux médecins et infirmier.e.s qui exercent et que nous avons rencontré ils sont toutes très conscients que les patients recourent à cette médecine, souvent avant d’aller les voir. Mais un pudeur (une peur ?)  les empêche de leur en parler, ce qui est dommage. 

Pourtant tous nous ont parlé de légers progrès avec notamment l’accueil d’un tradipraticien au sein de l’hôpital de Tahiti. Voilà une bonne nouvelle même si c’est encore un cas isolé, car ces médecines auraient tout intérêt à coopérer ! 

Avant de repartir nous avons le droit de voir la pharmacie chinoise de Margot : elle me donne généreusement toutes les notices avec écrit dessus les noms chinois en caractères chinois 🤪mais aussi en latin (ouf !) des plantes, ce qui me permettra une fois rentrée à la maison de voir la composition des remèdes qu’elle a en stock. Je suis très touchée et heureuse qu’elle me montre et me donne tout cela.

Nous faisons également un rapide tour du jardin où elle nous évoque en quelques mots les principaux usages de divers fruits, feuilles etc : noni bien sûr mais aussi grenades, gingembre, et autre noms que nous n’avons hélas pas retenus. C’est passionnant mais il nous faudrait rester au moins une journée, voire plusieurs jours, pour bien comprendre tout ce jardin médicinal.

Pendant ce temps son mari et sa fille ont rempli des sacs de pamplemousses et de mangues et nous raccompagnent en voiture jusqu’à la jetée nous regardant, interloqués et admiratifs, repartir avec ce chargement sur notre canoë vers Tu’ati et Magali, trop heureuses de notre matinée avec l’incroyable Margot ! 

Merci Margot (et ta famille également)  de cet accueil et de ta gentillesse et de ta générosité à prendre le temps pour nous, qui débarquons un beau matin sans prévenir à 8h,  et d’avoir pris le temps avec nous de raconter simplement et avec bonheur un peu de ton parcours !

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