Les enfants de la Bombe

Par Magali

« La traversée l’archipel des Gambier à celui des Marquises correspond approximativement à la distance d’Athènes à Stockholm. Il nous aura fallu six jours à trois femmes pour la réaliser, au rythme de conditions musclées mais favorables aux allures de travers et portant, pour notre plus grand bonheur de navigatrices enthousiastes et rodées.

Nous avons longé sur notre bâbord l’archipel des Tuamutus, chapelet d’atolls bas coralliens au sein desquels nous irons plus tard y rencontrer leurs acteurs de santé. Nous avons aperçu sur l’horizon Manutea, Reao, Pukarua, Takoto, Pukapuka dont certaines sont habitées, d’autres non. Ces noms ne vous disent probablement rien, et cependant elles sont les sœurs de proximité d’autres tristement, dramatiquement célèbres : Mururoa et Fangatofa qui furent le théâtre de 193 essais nucléaires français dont 13 à l’air libre et le reste sous les récifs.

Le documentaire de Jean Philippe Desbordes et Christine Bonnet réalisé en 2012 relate, images d’archives et films amateurs clandestins de Bernard Esta (ingénieur de la CEA) à l’appui, la mise en œuvre des essais nucléaires français sur ce territoire, de juillet 1966 à août 1968. On y voit que l’imposition autoritaire du gouvernement français au nom de la dissuasion nucléaire pour préserver la paix n’a non seulement pas recueilli l’accord des populations locales, mais ne semble pas avoir mis en œuvre sérieusement son devoir de protection.

La zone était censée être inhabitée mais bon nombre de militaires français et de travailleurs polynésiens y travaillaient, l’archipel des Gambier n’était qu’à quelques centaines de kilomètres de là…
Du côté des professionnels travaillant sur site, les conséquences ont été évidentes avec des brûlures radioactives, des cancers de la sphère orale et autres. Les dosimètres relevés par le service de santé des armées sont étrangement tous négatifs… les victimes décédées ne sont plus là pour témoigner…

Les remords d’un de mes patients en HAD à Nantes, ex-ingénieur du CEA atteint de 4 cancers simultanés me reviennent en boomerang. Il n’arrivait pas à se laisser mourir d’avoir cautionné sans le savoir tout cela. C’est au prix d’un accompagnement personnalisé qu’il est parti en paix.

A Mangareva, nous n’avons pas retrouvé de survivants âgés de cette époque et avons été frappés par la durée de vie courte inscrites sur les pierres tombales de son petit cimetière. Le médecin local nous a fait état de nombreux cas de dysthyroïdie, mais de peu de cancers alors que le documentaire dénonce un taux de cancers 15 fois plus élevé que la moyenne du WHO.

L’institutrice de l’époque décrit l’annulation du déplacement du Général de Gaulle prévu à l’issue de l’essai Aldebarran du 02/07/1966 car, alors que tout tremblait à Mangareva, une pluie radioactive a eu lieu à l’issue de l’essai provoquant chez ses élèves diarrhées, vomissements, perte de cheveux… Il aurait été évoqué de rassembler la population au centre médical pour délivrer des comprimés d’iode protecteurs mais cela n’a pas été fait : pour ne pas créer de panique ou plus cyniquement pour mesurer ultérieurement les effets sur cet échantillon de population?

Sur l’île de Mangareva avaient été construits deux abris antiatomiques : un hangar en parpins et tôles pour la population, un autre en béton armé et plaques métalliques pour les militaires… Ils ont été détruits il y a 10 ans.

On ignore encore l’impact génétique sur cette population. Le sujet reste complexe et tabou. Seule information librement consentie sur place ces derniers jours: le président Macron fait accorder plus librement les indemnisations aux victimes.

Et je me sens aussi personnellement concernée car j’étais toute petite fille avec mes parents sur place à cette époque très exactement. Mon père travaillait sur la Zelee, navire hydrographe, bien identifié par Eguy, mangarevien rencontré à Rikitea.

Alors c’est la colère et la révolte qui m’habitent. Car je suis donc aussi, ainsi que mon frère, qui est né avec des diarrhées profuses inexpliquées, une de ces « enfants de la bombe »?

Mais en quoi ce sujet intéresserait-il TUSI ? Il est plus que polémique, je l’entends mais le souci ne serait-il pas de savoir quelles informations sont données ou non aux acteurs de santé aujourd’hui pour prendre en charge cette population ?

Qu’est-il fait aujourd’hui pour l’accompagner dans la prise en charge physique, psychique et psychologique de potentielles conséquences ? Comment sont elles détectées?

Pour sûr, nous essaierons de répondre à ces questions car il est évident qu’il y a des mesures déjà prises comme la visite régulière de médecins nucléaires ».

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