En mer
En mer
La transat en mode féminine (Joanna)
« Qu‘est ce que ça donne, 4 femmes sur un bateau de 11 mètres de longueur après 15 jours en mer? Arrache-cheveux ou harmonie totale…? Et est-ce que le Man Over Board devient vraiment Femme à la Mer?
Alors je vous dis, il y a de tout: vernis à ongles, épilation, baignade, bronzage, massage, masque hydratant aux concombres sur les yeux, pain frais tous les jours, menthe et basilic frais dans les pots et d’autres merveilles de la cuisine, ménage, vaisselle et linge, discussion sur le beaux livres et films, bonne musique à fond et apéro au coucher du soleil… il y a aussi le lien discret mais fort avec nos proches restés sur terre, dont on parle souvent en se souvenant des bons moments et avec qui on communique de temps en temps via le Satellite.
Mais il y a aussi diagnostic et entretien du dessalinisateur, hisser la GV ou le spi plusieurs fois par jours (et oui, ça fait travailler les muscles!), monter en tête de mât de nuit, entrainement femme à la mer (couronné du succès à 4 reprises, même si à vrai dire on a hésité un peu à récupérer là capitaine ), bricolage au sica, scie, pince, perceuse, visseuse etc. (la règle dit 1 soucis à gérer par jour!), quarts de nuit qui tirent sur le corps ensommeillé, réparation, entretien et réamorçage du moteur, matelotage, interprétation des données météo et planning de la route, prise des ris, gestion des grains, coups de vent et de la pétole, gestion de l’eau douce et de l’énergie et enfin maitrise de l‘informatique et l’électronique qui se met en panne avec une régularité assez surprenante (à revoir en Martinique!).
Mais surtout il y a une ambiance phénoménale et un esprit d’équipe fou ! Une belle harmonie à bord, les activités du jour se font naturellement et d‘une façon proactive et équilibrée (on a jamais du demander – qui va faire la vaisselle, qui cuisine ce soir? – tout ça se fait « tout seul »…). Chacune est attentive aux autres, il a y une bienveillance adorable où on s‘assure que tout le monde a eu l’occasion de se reposer ou goûter le meilleur chocolat du monde (ou bien du fruit de la maracuja, qu‘on adore toutes ou alors de la dernière orange). Et surtout – quand ça devient chaud au niveau des manœuvres-, tout le monde est sur le pont prêt à se donner un coup de main – même en pyjama au milieu de la nuit (mais toujours en gilet de sauvetage).
Au niveau de la prise des décisions il y a peut être un peu plus de discussion (on entend souvent la phrase « sauf si quelqu‘un est d‘un autre avis?“ qui nous conduit aux échanges et discussions marqués du respect et d’écoute) et ça mobilise l’équipage à assumer nos choix et à exprimer nos avis. Je remarque aussi une disponibilité assez remarquable d’apprendre de nouvelles choses, de discuter, de re-mettre en questions ses propres avis?
Enfin, il y a le bel échange entre femmes de trois décennies différentes (des 30’es à 50’es) et leurs belles expériences de la vie. C’est très enrichissant et précieux et alors on se dit parfois – la pétole c’est finalement pas si mal – ça nous donne un peu plus de temps ensemble! »
28 avril
Et bien qui l’eut cru ? L’océan Atlantique comme un lac… Et oui depuis une semaine nous rencontrons la deuxième pire situation du marin après la tempête: la Pétole! Or un voilier sans vent a-t-il des jambes pour avancer, maman les p’tits bateaux? Et bien non, tout au mieux le courant lui caresse doucement la coque et l’emmène là où il ne voudrait pas forcément aller … Alors le jeu consiste à trouver la porte de sortie : saisir la moindre brisette, avec manœuvres de spi symétrique ou asymétrique, génois tangonné ou non, avec ou sans grand-voile? Car, en effet, « la Grande », sans vent, elle n’aime pas non plus à battre la cadence de la houle en faisant souffrir le grément… Alors, on aimerait scruter les fichiers météos, dits gribs, …mais les multiples pannes inopinées d’électronique nous ont fait perdre le logiciel Squid. Un appel à terre vers mon frère m’offre un soulagement car il m’envoie des fichiers gribs : la poche de vide est énorme, créé par une pseudo dépression qui fait fuir les alizés. Il y aurait bien une petite solution vers le sud: à 200 nautiques…donc au moteur? Après point des ressources en gas oil, ça passe. Conciliabule, on tente cette option. Mais quand quelques heures de moteur plus tard… celui ci baisse de régime de façon intermittente puis inquiétante jusqu’à s’arrêter… Un réamorçage du moteur puis un deuxième 45 mn après me font penser que le circuit gasoil du moteur présente un sérieux problème… Et en plus le moteur est bouillant ce qui risque de l’endommager très sérieusement!
Pas d’autre solution que de remettre les voiles et d’avancer à un ou deux nœuds pendant que j’essaie de réparer cette panne… L’équipage réagit très solidairement, se relayant à la barre nuit et jour pour gagner un nautique par heure… Ou m’aider à démonter les prefiltres, filtres, durites et explorer les cuves à gas oil à la recherche d’impuretés bactériennes qui auraient envahit notre petit moteur chéri d’après nos amis mécanos à terre Alain et Landry. Au bout de deux journées d’efforts … Il repart. Soulagement, mais l’option sud est presque obsolète et… la brise est revenue: Eureka! Joie de regonfler nos voiles et d’atteindre l’honorable vitesse … De 3 à 4 nœuds!
A ce rythme, les Figaros Girls vont battre le record de la plus longue traversée de l’Atlantique et mais vous allez rire, même si c’est pas toujours si facile, on y prends vraiment du plaisir ! »
1er mai
Une petite semaine de Pétole à scruter la brisette , la chopper, la perdre et la chercher encore au prix de manœuvres et de beaucoup de patiente ténacité: un jeu d’enfant pour les Figaro Girls hyper motivées! Selon le bouquin météo de JY Bernot c’est classique au printemps un anticyclone qui s’étend et prends des aises, mais ce qui l’est moins c’est qu’on est beaucoup plus au sud de la route sur qu’il conseille ! Alors réchauffement climatique?
Quand soudain la brisette devient brise, plus de 5 nœuds établis, c’est la fête ! On y croit, on manœuvre à fond, puis ça s’arrête. Qu’à cela ne tienne, le moteur réparé va nous aider à aller la retrouver un peu plus loin. Oui mais voilà, les algues spiculées, jaunes avec piquants et boulettes qui nous sont familières depuis bien deux semaines, se sont organisées en nappes avec le courant qui les chahute…
Il paraît que ce phénomène est aussi lié au réchauffement climatique . Et nous voilà, Perrine en Vigie à l’avant , Magali à la barre en train de slalomer entre les masses repérées en surface… La vitesse du bateau à moteur constant a diminué de moitié: 2,5 nœuds, 1800 tours? C’est pas normal! on arrête le moteur, un gros paquet de Sargasses se dégage spontanément. Joanna n’écoutant que son courage ( légendaire) enfile le masque de plongée et part en explo sous la coque (dans une eau à 28 degrés, elle y prends même un certain plaisir). Safrans et hélice moteur dégagés, on repart doucement, à la voile, à 2,5 nœuds pour 5 de vent… C’est là life du marin. Alors Eole vas tu venir nous rejoindre? Erell notre tacticienne Regatta s’applique à le séduire, et ça paie. Dans la nuit sans lune et sans étoile, il nous a rejoint avec 7, puis 10 puis 15 nœuds! Dans le noir seuls le compas et la girouette nous indiquent la route. Pas possible de voir les Sargasses alors on met le génois tangonné au lieu du spi en cas de manœuvre de nuit sargassienne et au petit matin, on file désormais route directe sous spi vers la Martinique, youpi! »
2 mai
Erell
« Le Tu’Ati orchestra » – sonate par vent moyen à fort
En intérieur, un bruit de fond, sourd, continu du bateau enfoncé dans l’océan accompagne l’avancée. Le bateau s’enfonce puis se relève au rythme des vagues, poussé par le vent. « Glouuuuvrrrrm »
A cela s’ajoute de petites éclaboussures d’eau qui surgissent à chaque claquement de la coque en alu sur les vagues. « Plikkk, ploook, plik, plak, ploook… » La dérive, elle, tape à chaque ondulation latérale du bateau « vrrr…paf…vrrrrr..paf »
Au même moment, une porte de placard mal fermée claque sur le même rythme, mais avec un léger décalage. « Tak……tak…..tak…..tak…… »
Plusieurs, points de grincements dans le faux plafond répondent à ces premiers sons. « Tiktiiiiktiktiiiiiktiktikkkk », comme le grincement fantomatique d’une imposante vieille armoire familiale.
Une drisse vibre sur le mât. « Click, cliiiik, cliiiik, clin, cliiiik, cliiiik… »
Cet ensemble est le corps d’un orchestre dans lequel s’ajoute par moment des notes supplémentaires, par des musiciens dissipés, fatigués ou tentant des improvisations. Une plus grosse vague ou moins de vent et la grande voile claque, puis quelques secondes après le génois lui répond « SLAAAK……slaak ».
Le ballet classique reprend. Puis, un bruit de roulement, « Vrrrrrvrrrrvrrrrr », sur le pont, le winch tourne, une voile est bordée.
« Psss, frrrrr, psss… » La barreuse s’est assoupie ou le vent à rapidement tourné, la voile faseille.
Soudain, un nouveau claquement régulier, « Tooooc,…. Tooooc,…. Tooooc… » 3 min plus tard, Joanna sort de sa cabine, une lampe frontale sur le front et bondit en pyjama sur le pont, et va, en détective dans la nuit noire, chercher d’où vient le nouveau son qui l’a titillé dans son court sommeil. La solution est trouvée, elle repart sous la couette, 2 min plus tard, la revoilà sur le pont, elle s’est trompée de coupable, la recherche est relancée. Le coupable est l’écoute de génois qui claque sur la coque au rythme des vagues.
Parfois, un « bzzzz, prrrrrt, bzzzzz, prrrrrt… »se met en marche. La barreuse vient d’enclencher le pilote automatique, le mode robot est activé. Dommage pour Magali qui dort dans la cabine sous le pont, l’oreille au droit du moteur du pilote, imaginez une imprimante 3d en marche dans vos oreilles. « Bzzzzz, prrrrrt, bzzzzzzzz, prt, bzzz, prrrt… »
Ce chouette orchestre est accompagné par la danse du bateau, des ondulations latérales, d’avant en arrière, en diagonale, ça saute sur les vagues, ça s’enfonce dans l’eau.
Quel bonheur de dormir dans ce dynamique et joyeux orchestre en fin sonore, tout en étant coincé dans un tambour de machine à laver ayant trop pris l’apéro. »
Après les nombreux jours de sonate par vent très faible, plus calme mais trop lente à mon goût, je suis ravie que la sonate ci-dessus ai repris le dessus
3 mai
Elles sont arrivées !!
Après 4 semaines de navigation Magali, Joanna, Erell et Perrine ont touché terre en fin de matinée à la Martinique !!!