Témoignage de Simone Taema Grand

Ia ora na,

N’étant que biologiste et anthropologue, je voudrais cependant partager une histoire, celle de Hikueru, un atoll des Tuamotu, fort isolé et qui, à la fin du 19è siècle, regorgeait d’huîtres perlières, à la nacre convoitée par les industries européennes et asiatiques de boutons, d’objets précieux et de marqueterie. Une fois le lagon bien pillé, les trafiquants désertèrent les lieux.

Il semblait rester toutefois suffisamment de nacres dans le milieu naturel pour qu’un exploitant s’installe, pour monter une ferme perlière au milieu des années 1980-90.
En 1993, se produisit un bloom planctonique tel que le lagon devint tout vert glauque de plancton végétal, tuant tous les poissons qui se mirent à flotter et dériver emportés par le courant vers la plage du village, empuantissant l’air et privant la population d’une centaine de personnes de leur nourriture quotidienne.

Le maire lança un appel de détresse au Haut-commissariat et au gouvernement local.
Le navire militaire Prairial fut mobilisé, je fus mandatée par le gouvernement pour voir ce qui s’y passait, accompagnée d’un médecin et d’un étudiant stagiaire de l’ORSTOM. L’Etat avait mobilisé aussi des gendarmes.

Un petit hélico nous déposa sur la plage jonchée de cadavres de poissons. Nous avons vu arriver la population les yeux hagards et inquiets. A la réunion à la mairie, chacun exprima ce à quoi il incriminait son angoisse: une source noire, la bombe atomique et encore plus inquiétant : une grave faute commise par quelqu’un du village. Chacun craignait d’être le désigné coupable et cherchait qui désigner. Planait encore dans les esprits la tragédie de Faaite, un atoll voisin bien qu’éloigné où, après des jours et nuits de prières dans l’église catholique, une partie de la population brûla certains des siens sur des bûchers. Notre présence sembla crever une bulle morbide qui se formait au-dessus d’eux et commençait à les étreindre.


Le chercheur océanographe accompagna un pêcheur sur le lagon pour effectuer des prélèvements. Nous les rejoignîmes un moment et revînmes au village. Le médecin reçut qui éprouvait le besoin de la consulter. Les gendarmes firent le tour des lieux, interrogeant et écoutant les uns et les autres. J’écoutai quiconque avait besoin de me parler.

Une goélette fut déroutée pour fournir de la nourriture aux habitants, qui avaient épuisé leurs provisions. Une certaine quantité de riz, farine, huile, conserves, fut débarquée sur ordre du gouvernement. Je devais effectuer la distribution. L’amusant est qu’un des villageois exigea que, comme il y avait des riches et des pauvres, la distribution devait se faire en conservant la même discrimination, à savoir deux fois plus pour les riches dont il faisait partie que pour les pauvres. J’ai éclaté de rire et rappelé que telle n’était pas ma mission et que chacun aurait exactement la même part. Ce qui le mit en rogne et fit souffler d’aise les qualifiés pauvres. Le Bougainville vint nous reprendre et ramener à Tahiti.


De cette aventure j’en tirai trois types de réflexion :


1. Le pillage des huîtres perlières entraîna une prospérité telle que, selon mon oncle momentanément huissier de justice dans les îles durant les saisons de plonge, a vu d’aucuns allumer leurs cigarettes avec des billets de banque. Ces prélèvements réitérés appauvrirent la faune de mollusques, filtreurs entraînant un grave déséquilibre de l’écosystème.


2. Quand des problèmes touchant la collectivité se posent dans un lieu isolé, vient souvent à l’esprit du groupe la recherche d’un bouc émissaire. Recherche qui peut dégénérer en spirale de violence incontrôlée.


3. Il suffit parfois de la visite d’une équipe bienveillante, attentive à entendre chacun sans juger, pour que la spirale délétère se défasse et disparaisse.

Bon, j’ignore si j’ai répondu à la demande mais il y a 3 jours j’ai à nouveau visité cet atoll, dont le récif a été creusé pour ouvrir une petite passe, permettant aux petits bateaux d’y circuler et aussi renouvelant l’eau du lagon, où il n’y a plus de ferme perlière, ni plus aucune huître perlière.

L’école a une classe où une enseignante dévouée, dynamique, inventive et cultivée enseigne à 16 enfants d’âges et donc de niveaux différents (maternelle à CM2) le programme de la République mais aussi, la langue des anciens, les chants et les danses de l’île et la fabrication de costumes avec ce qui existe et pousse sur place.


Le maire raconte l’histoire de l’île aux visiteurs, la période du pillage et la manière dont ils s’en sortent aujourd’hui. Un jeune homme de l’atoll m’a dit en souriant:  » Des gens sont venus, ont pris, emporté nos richesses et nous ont laissés… comme ça. »

Simone Taema Grand

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