Témoignage de François Duval

« Quand un médecin arrive en 1990 à Bora Bora… pour ne plus jamais repartir !

Je suis arrivé à Bora Bora en voilier il y a plus de trente ans et je suis resté dans ce beau pays où il fait si bon vivre avec les Tahitiens.

Le paysage y est fantastique mais le premier attrait pour vivre ici est sans doute, et de loin, les qualités des gens.

Pourtant, quand je suis arrivé, en 1991, je me suis présenté dans la Santé publique et ma venue n’a pas soulevé l’enthousiaste chez le personnel de la santé. Reçu entre deux portes en y mettant le pied.

Puis finalement, quelques jours après, on m’appelle de toute urgence : on a besoin d’un médecin à Rimatara la plus petite des îles australes. Il n’y est pas venu de médecin depuis longtemps. En fait je servais de monnaie d’échange : le maire de l’île avait promis qu’il voterait pour le président si on lui apportait un groupe électrogène flambant neuf et… un médecin !) Et voilà comment j’y suis parti avec femme et enfants…

Rimatara est vraiment Sud, ronde, 9 km de diamètre, entourée de corail, sans port et sans aéroport à l’époque, on y débarque dans une baleinière venant d’un petit cargo, en passant le récif sur une vague que les matelots paumotu ont pris la peine de compter, des fois ils comptent mal et tout le monde se retrouve dans l’eau…

Autant dire que pour une île isolée, elle est isolée…

Les mille habitants sont soignés par une auxiliaire de santé qui y fait un travail remarquable, formée en quelques semaines… (elle n’est ni infirmière, ni aide-soignante, ni adjointe de soin…)

La population mène une vie paisible, de pêche et d’agriculture (tout y pousse) , pratiquement autonome ; très peu de pathologies et je n’ai pratiquement pas eu de travail, en dehors de la surprise de quelques accouchements auxquels j’ai dû faire face… avec le très grand secours de la très expérimentée auxiliaire. J’avais bien sûr une vague idée par où le nouveau-né devait sortir mais c’était à peu près tout !

J’y ai pu mesurer la tâche ingrate et extrêmement difficile des personnels de santé isolés faisant face un jour ou l’autre à des menaces vitales…

Surtout qu’à l’époque, il n’y avait pas de téléphone : toute communication se passait par la BLU, aux quelques heures où fonctionnait le groupe électrogène… et quand il fonctionnait !

Tout s’est quand même bien passé, en dehors du fait que le séjour initialement prévu d’un mois a duré 6 mois (!) du fait de l’absence de cargo (le fameux cyclone Wasa de décembre 1991 bloquant tout à Papeete, puis grève des dockers…)

J’y ai pu constater que les populations qui vivaient sur ces îles, et qui y étaient depuis plusieurs siècles, étaient entièrement autonomes et en autosuffisance alimentaire totale…

Comme en témoigne cette petite anecdote :

Après le cyclone et les grèves des cargos, l’île s’est vraiment retrouvée coupée du monde et le haut-commissaire (équivalent du préfet) et m’a joint en BLU pour savoir ce dont nous avions besoin en urgence;  je n’ai pas trop su quoi lui demander et lui ai proposé de réunir le conseil municipal : au  bout de trois bonnes heures de discussion variées sur la pêche, le prochain mariage et les dents du petit dernier, le maire s’est décidé à demander à tous ce dont nous avions expressément besoin; grand silence dans la salle, personne ne savait quoi dire… Au bout d’un certain temps, une petite voix s’est fait entendre : moi j’ai besoin de tortillons pour les moustiques ! Grand rire dans la salle…

J’ai exactement transmis le message au haut-commissaire, qui m’a copieusement eng… en me précisant que le secours et la survie des populations dont il avait la charge n’était pas une rigolade. « Je vais vous envoyer immédiatement le super Puma avec de l’huile, du sucre, de la farine, des saos et des sacs de riz ».

Et l’huile, la farine et le sucre ont servi à refaire des beignets bien gras en remplacement des tartines sucrées de Uru (arbre à pain) recouvertes du délicieux miel de Rimatara…

Voilà un petit extrait de mes aventures, vous pourrez en rencontrer d’autres dans les îles éloignées où il n’y pas d’aéroport,  comme Fatu Hiva, de nombreuses Tuamotu où des personnels de santé font un travail remarquable et difficile, souvent peu remercié. Plutôt qu’une approche officielle qui sera ou ignorée, ou mal perçue par la Santé Publique, je pencherais plutôt vers une démarche informelle auprès de ces auxiliaires de santé ou adjoints de soin en poste isolé. »

François Duval

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