Duo d’infirmières libérales à Fakarava

A Rotoava, au nord de Fakarava, l’équipage de Tu’Ati est invité à rencontrer les deux infirmières libérales de l’île : Aurélie et Lina.

Aurélie nous accueille chez elle.  Arrivée à Fakarava il y a 17 ans, elle a été en poste sept ans au centre de santé, avant de s’installer en libéral.
Son expérience au CDS a été très forte : elle définit le travail en poste isolé comme étant un travail passionnant, notamment par l’autonomie et le sens des responsabilités qu’il faut développer faute de médecin sur place.

Il faut assurer toutes les urgences 24h/24, 7 jours sur 7. Bien qu’en lien avec le SAMU de Papeete très coopérant, il faut assurer la prise en charge et le suivi du patient jusqu’à l’évacuation sanitaire, ce qui demande sang froid et engagement total. Le travail d’infirmière en poste isolé,  c’est du costaud, de l’urgence absolue aux soins palliatifs, des plus jeunes aux plus anciens… Selon son expérience, les compétences requises pour travailler en territoire insulaire seraient plus larges que celle d’une infirmière en pratique avancée, car il faut y ajouter les spécificités insulaires : exercice en situation d’isolement et intégration des spécificités anthropologiques de chaque population, ce qu’approuve Lina.

Elle nous partage également son attachement profond pour la population de Fakarava sans nous cacher la part de l’ombre de ce “paradis” où la misère sociale est présente.

Les personnes âgées ne bénéficient plus toujours du cadre familial jadis protecteur et vivent parfois dans des conditions insalubres. Avec ses yeux et son cœur d’infirmière, elle s’inquiète de l’avenir de ces anciens dont elle se retrouve à assurer les soins pour un accompagner digne.

Dans un même ordre d’idée, elle fait part de situations de familles complexes : le plus souvent éclatées (migrations vers d’autres îles pour trouver du travail), les mères sont jeunes, les enfants sont considérés comme “rois”, élevés sans cadre selon leur désirs, même s’il s’agit de biberons de coca cola… Séparés de leurs parents dès le collège, ils sont livrés à eux même trop jeunes. Parfois  ils sont “donnés” nourrissons, ou même plus tard à d’autres parents (Faamu, tradition ancestrale polynésienne). Ils ne sont pas toujours bien traités dans leur famille adoptive.

Par la suite, le désœuvrement des jeunes sans travail peut faire le lit des addictions, les maltraitances et abus divers font des ravages psychiques. Sa formation d‘hypno thérapeute lui permet d’aborder avec tact, douceur et professionnalisme les traumatismes psychiques “abyssaux” des jeunes adultes dont l’obésité morbide est bien souvent un signe d’auto-protection inconsciente…

Malgré l’exigence et les sacrifices de cette vie d’Infirmière du bout du monde, elle ne souhaiterait changer pour rien au monde.

Lina, sa collègue, est arrivée en renfort il y a 4 mois de France avec son conjoint Kinésithérapeute et ses deux jeunes enfants, suite à une annonce Facebook d’Aurélie. Enthousiaste et dynamique, son CV est impressionnant : elle a créé en 2012 « You Rock my World » une association caritative afin de récolter des dons via des concert (en gros le principe d’un jouet = une entrée au concert !) …et a pu récolter 2600 jouets lors de la première manifestation, tous redistribués au Secours Populaire.

En 2021, elle a également créé un désert médical, un Pôle Santé dans la commune où elle était installée depuis 2017, qui compte aujourd’hui un cabinet infirmier, un cabinet kinésithérapeute, une ostéopathe, une neuropsychologue, une ergothérapeute et une accompagnante périnatale, le tout sans subvention ni aucune aide…

Elle est formée Hypno thérapeute spécialisée Douleur depuis 2019 et a pu former au sein de l’école Hypnosup ses pairs dans la prise en charge de la douleur lors des soins. Elle est également formée à l’accompagnement périnatal par l’Ecole du Bien Naître de Sonia Krief depuis 2022. Elle avait débuté sa carrière en 2010 au sein d’une structure Lits Halte Soin Santé qui accueillait des personnes en situation de précarité et en rupture de soins, puis a travaillé en HAD pendant deux ans, ce qui lui a donné l’envie de travailler ensuite en libéral! Avec son compagnon, ils avaient beaucoup voyagé, fait un tour du monde en 2016, et lui a travaillé en Martinique, Réunion et Nouvelle Calédonie.

A Fakarava, elle est séduite par le contact avec la population et les bonnes relations entre soignants : peu nombreux, ils se serrent les coudes et font du bon travail ce qui devenait de plus en plus difficile dans l’Aube où elle exerçait également en libéral. Elle pense que les structures de type MPS (maison de professionnels de santé) créées dans l‘ hexagone pourraient être un bon modèle à importer dans les territoires ultra marins. Elle est très enthousiaste de TUSI : elle rejoint le club des fans!

Notre soirée s’est poursuivie sur une profonde discussion concernant l’approche du soin de populations aux traditions culturelles différentes. Dans le langage polynésien, il n’y a ni passé ni futur, seulement le présent. Avec ce prisme qui structure le mental, la compréhension d’un traitement et à fortiori son intérêt pour préserver la santé à venir, comme pour le diabète par exemple, est difficile à intégrer.

L’offre de soin proposée par le modèle occidental, performante et spécialisée, est-elle toujours adaptée à leur mode de vie? Par exemple, une dialyse pour une insuffisance rénale terminale, une chimiothérapie pour cancer avancé, qui nécessitent de devoir quitter son île et donc son entourage, sont-elles plus indiquées qu’un accompagnement à domicile en soins d’accompagnement palliatifs si le choix est éclairé? Et si oui, de quels moyens disposer pour assurer ce type de prise en charge en territoire isolé? Autant de questions qui ouvrent un large champ de réflexion…

Merci Aurélie et Lina pour la richesse de ces échanges… qui nous ont menés à rejoindre notre voilier tard dans la nuit, la tête dans les étoiles, trempés et ballotés tous les trois sur notre petit canoë.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.